VALERIE TONG CUONG - L'interview
The first lady
Bonjour Valérie.
J’aurais pu vous accueillir en vous proposant d’ôter le masque, mais il semble que le vôtre soit tombé il y a quelques années déjà… Longtemps, il y eu en vous deux facettes, une Valérie pour les autres, joviale, ouverte, raisonnée et puis cette autre Valérie, que vous décrivez comme sombre, pessimiste, avec un état de violence intérieure assez permanent.
A quel moment et pourquoi - et comment - la douceur et la paix se sont t’elles immiscées. ?
C’est un homme, celui qui allait devenir mon mari, qui m’a apprivoisée puis réappris la confiance en la vie. Le processus a été très lent. Il lui a fallu une patience infinie, cela se compte en années… Puis d’autres rencontres, très variées, sont venues enrichir ma compréhension du monde et m’ont permis d’accepter ma propre histoire avec sérénité.
Sont-ce vos errances passées, votre retour à la vie, qui vous ont menée à écrire votre dernier livre – et ceux d’avant ?
C’est un ensemble, nourri bien sûr d’une trajectoire en lignes brisées, mais surtout d’un parcours de réflexion loin d’être terminé.
Que ressentez-vous quand l’idée du texte est là, quand l’histoire s’impose, quand vous savez que vous allez vous lancer dans une nouvelle aventure d’écriture ?
Une émotion intense, physique.
Valérie Tong Cuong, que pensez-vous de l’humain ?
L’être humain est complexe et magnifique. Aussi vulnérable que riche de ressources. C’est le grand sujet de mon existence. Observer, ressentir, comprendre, transmettre. Aller au cœur de l’humain, c’est tenter de découvrir le sens de la vie. Je ne me lasse pas d’étudier les parcours, les combats, les quêtes, les chutes et leurs conséquences positives comme négatives, les limites, les freins, les accélérateurs, les clés.
Généralement, votre état d’esprit le matin au réveil, ça ressemble à quoi ?
Embrumé ! (le réveil sonne tôt le matin pour l’école de la petite dernière). Puis efficace, c’est mon rôle de mère de famille. Lorsque tout le monde est sur les rails, alors je me pose un moment. Une parenthèse de respiration, de méditation. La plupart du temps, je me sens pleine d’énergie et de gratitude pour ce fantastique cadeau qu’est la vie. Il m’arrive de me laisser déborder par des contrariétés, par des chagrins passagers, de traverser des passages difficiles, comme tout le monde. Mais désormais, il arrive toujours un moment où je me « remets en place ».
Cela n’a pas toujours été le cas. Une grande partie de ma vie s’est déroulée sous le signe de l’ombre, de la tristesse, de la rage. Depuis, ayant beaucoup appris sur le sens des événements, j’ai pu revoir, revisiter différemment ce qui avait engendré tant de souffrance et me délivrer de ce poids.
L’atelier des miracles… Une façon de raconter la vie comme vous aimeriez qu’elle soit - ou comme vous pensez qu’elle est ?
C’est une manière de transmettre ma vision, en effet. Je me suis posée toutes les questions qui s’y trouvent, aussi bien celles qui concernent le processus de l’aide, les moteurs de la charité, que celles qui ont trait à notre place dans ce monde – pourquoi, comment on la perd, pourquoi, comment on la (re)trouve.
Agissez-vous et si oui, comment agissez-vous, à votre niveau, en terme d’aide, de charité ?
Depuis une vingtaine d’années, je soutiens l’action de Jacqueline Bonheur, une femme exceptionnelle qui s’est engagée de diverses manières dans l’aide à l’enfance. Elle œuvre notamment au travers de l’association Enfants bonheur en Haïti, où la situation des enfants est particulièrement difficile. J’ai également contribué à soutenir d’autres associations caritatives au fil des années, mais au-delà de ça, je crois qu’aider autrui est avant tout une disposition d’esprit au quotidien. Etre à l’écoute, faire preuve de bienveillance, de tolérance, se rendre utile de la manière la plus juste possible, à tout instant. Une attitude que beaucoup de gens cultivent – et j’espère en faire partie. Cela n’est pas si simple, nous sommes tous pétris de réflexes défensifs, parfois égoïstes, on se laisse parfois déborder par nos réactions, mais ça se travaille.
Quand vous écrivez… Racontez-nous le cadre, l’atmosphère, le moment de la journée, le rythme, les pauses…. Dessinez-nous - avec vos mots, votre musique – Valérie Tong Cuong en train d’écrire…
La plupart du temps dans le silence, mais pas toujours. Dans la journée, une fois remplies les obligations diverses, presque jamais entre 17h et 22h (trop d’agitation dans la maison), fréquemment le soir tard. Dans ma bulle invisible, très concentrée, en orbite. Dans mon bureau, ou sur mon canapé, ou dans mon lit… dans mon monde, avec mes personnages, dans leurs bras…
J’ai cherché des moments de votre vie de chanteuse, dans le groupe Quark ; il n’y en a pas ? (Vous n’en avez pas un à me donner, par hasard ? :-)
Eh bien si, en voilà deux !
Merci :-)
Est-ce vous qui écriviez les textes ? Que racontaient-ils ? Pourquoi ce groupe n’existe plus ?
J’écrivais les textes. Ils reflétaient des états d’âme, racontaient des parenthèses de vie... nous avons arrêté car j’avais des problèmes importants de cordes vocales qui n’ont pas pu être résolus. Je ne peux plus chanter.
Est-ce que je me trompe si je dis que vous êtes une femme qui a un vrai et fort besoin de sens dans tout ce qu’elle vit, touche, entend…
Je ne pense pas qu’on puisse parler d’un besoin de sens. Ce n’est pas un besoin, c’est une forme de lecture. Je vois en effet du sens en toute chose. Je ne dis pas que je le décrypte toujours instantanément, parfois il me faut du temps, mais je considère que tout fait sens – à moi de le découvrir. Donc il peut y avoir de la difficulté, mais pas d’incapacité théorique à me connecter. Je me sens au contraire connectée à tout ce qui m’entoure. Y compris à ce qui me déplait, ou me pose problème. On en revient toujours au même : comprendre pourquoi et comment.
Valérie Tong Cuong, parlez-nous du silence…
Il m’est nécessaire, c’est un compagnon de route. Mais le silence absolu n’existe pas, et le silence que j’aime est plein de vie. Il est une porte d’accès au monde intérieur.
Votre dernier livre, L’atelier des miracles.
Le titre (magnifique) et le quatrième de couverture, laisse présager une jolie histoire, pleine de bons sentiments et d’actes gratuits. Belle idée se dit-on en attaquant votre texte, que celle d’un lieu (l’atelier) propice au retour à soi, que celle d’un homme (Jean) qui voue son temps et son énergie à « sauver » l’autre, les autres.
Pas un instant – dans la première partie du livre - on imagine que le sauveur, Jean, agit pour se réparer lui-même, même s’il réagit parfois de façon qui laisse supposer que tout n’est pas si simple qu’il y parait.
Ce livre incite à se poser la question de pourquoi on aide les autres ; et de réfléchir au sens profond du mot charité.
Votre livre m’a fait penser à un ouvrage ayant trait à la philosophie bouddhiste. L’auteur proposait de nous questionner, quand nous étions devant une personne en détresse, avec l’idée de lui donner une pièce ou un morceau de pain. Pourquoi cet acte ? Dans l’attente d’un merci ? Dans l’attente d’une reconnaissance ? Pour la satisfaction d’avoir fait une « bonne » action ? Pour satisfaire son propre égo ?
Ou par amour de l’autre, cet inconnu, cet humain en souffrance. Un amour spontané, sincère, qui n’espère, ne veut même pas d’un « merci » en retour.
D’où la question de savoir si donner à l’autre pour se satisfaire soi-même ou dans l’attente d’un retour est juste ?
Cela vous parle t’il ?
Ce qui me parle, c’est de questionner l’acte de charité : je pense enrichissant pour chacun d’en découvrir les moteurs. En revanche, je fuis les jugements. On peut aider autrui parce qu’on en a besoin soi-même, pour réparer quelque chose, une part de soi - au bout du compte, on a aidé. Et à partir du moment où l’on prend conscience de cette part « égoïste », il y a de fortes chances qu’elle diminue ensuite au profit d’une compassion sincère.
Par ailleurs, l’égo n’a pas forcément besoin d’un remerciement pour être flatté ! Le simple fait d’avoir donné une pièce au mendiant entraînera bien souvent une meilleure estime de soi de manière mécanique (je suis un type bien, j’ai donné une pièce à ce pauvre homme). Une fois encore j’ai envie de dire : et alors ? Pourquoi juger ? Au final, la pièce a été donnée.
Ne pas juger, mais comme il est montré dans l’ouvrage dont vous parlez, questionner, encore et toujours questionner. S’interroger nous permet de grandir.
Longtemps, vous avez écrit dans la discrétion la plus absolue. Pourtant, dans votre famille (votre maman, votre grand-mère) on aimait beaucoup les livres. Etait-ce pour que personne n’entrevoit votre côté sombre de l’époque, que vous ne partagiez pas votre écriture ?
Ce n’était pas raisonné, mais en effet c’était une manière d’exprimer ce que j’estimais impossible à comprendre par les autres, même ceux qui m’aimaient le plus.
Maintenant que votre travail d’écrivain n’est plus un secret, vous arrive-t-il de demander des critiques à vos proches quand un roman est en cours d’écriture, ou bien ne livrez-vous le texte qu’une fois terminé ?
Je demande systématiquement l’avis de mon mari, en cours d’écriture et à la fin. C’est lui qui a découvert le premier que j’écrivais, lui qui m’a poussée à publier, et l’expérience m’a montré qu’il avait un regard très enrichissant sur les textes. Il est toujours mon premier lecteur, parfois le seul en dehors de mon éditeur, mais pas toujours. L’Atelier des miracles a été lu par trois personnes avant d’être envoyé à Karina Hocine, mon éditrice chez JC Lattès.
Me parleriez-vous de vos enfants ? Qui sont-ils, leur personnalité, leurs passions… Et votre regard de mère sur eux…
J’ai deux filles, un fils et une belle-fille. Ils ont tous les quatre des personnalités très différentes, mais ont en commun la générosité, l’esprit de solidarité, l’humour, la créativité et des valeurs élevées de justice et de tolérance. Je suis heureuse de voir qu’ils ont un sincère souci d’autrui. Ma fille aînée est ainsi partie seule en Haïti donner un coup de main à Enfants bonheur, en manque d’effectif durant l'été, alors qu’elle venait tout juste d’avoir dix-sept ans.
Quant à mon regard de mère, ce que je viens de vous dire est éloquent, non ? Je suis complètement subjective et dingue d’eux !
La culpabilité maternelle, la connaissez-vous ?
Je suis tout à fait consciente que j’ai fait (et je continue à faire) des erreurs. J’ai parfois été trop souple, parfois trop exigeante. Mais je crois que c’est le lot commun de tous les parents. J’éprouve parfois de la culpabilité lorsque mon écriture ou la sortie d’un livre monopolise trop mon attention. Actuellement, je suis chaque week-end loin de chez moi pour des signatures et j’ai senti un manque, en particulier chez ma petite dernière qui n’a pas encore 9 ans… Je m’applique du coup à rétablir l’équilibre en trouvant plus de temps en semaine…
Vous avez pas mal voyagé…
Si vous ne deviez garder qu’un seul de ces voyages, ce serait quand, où et pourquoi ?
Je ne peux pas répondre à cette question. Tous ces voyages sont incomparables et il m’est impossible de les hiérarchiser. J’ai la chance d’avoir de nombreux très beaux souvenirs…
Le succès de l’Atelier des miracles a t’il redoublé votre envie d’écrire, de communiquer via l’écriture ? Etes-vous déjà en train de créer une nouvelle ambiance, de nouveaux personnages, une nouvelle histoire ?
Je suis en pleine réflexion….
Vos livres….
En tant qu’écrivain, vous arrive-t-il de compulser vos textes précédents et de vous dire que « là, c’est mal écrit « ou « tiens, je ne dirais plus ça comme ça « et d’autres réflexions de ce style ? A moins que vous préfériez ne jamais vous relire ?
Je ne me relis jamais. Ce qui a été écrit à un instant donné correspond à un contexte, un palier sur mon chemin personnel. En revanche, je conserve la trace, l’empreinte de mes personnages, de leur itinéraire.
Vos émotions, votre quête de vous-même se sont exprimées dans la chanson, dans l’écriture. Dessinez-vous ?
Pas du tout, je n’ai aucun talent dans ce domaine, et c’est un euphémisme !
L’été est bientôt là. Vous avez des projets ?
Me ressourcer, me recentrer. Après un semestre rythmé par de nombreux déplacements, j’aspire à la solitude. J’ai emmagasiné beaucoup d’émotions, d’informations qu’il est temps maintenant de revisiter dans le calme. Je vais également consacrer une bonne partie de l’été à ma famille, retrouver la joie d’être ensemble – c’est mon noyau dur, une source d’énergie sans limite. Ca rit, ça s’engueule, ça polémique, ça joue autour de la table. Des moments de pur bonheur.
Merci, Valérie Tong Cuong et par avance, bel été :-)
Retrouvez Valérie Tong Cuong :
- Le samedi 25 et dimanche 26 mai au Salon de Villeneuve sur Lot
- Le 1er juin à la Librairie Page 5 de Bruz (35)
- Le 8 juin au Cours de Verdun de Bourg en Bresse
- Le 14 juin à la Librairie Anagramme de Sèvres (78)
Et sur son site :
http://www.valerietongcuong.com/index.html