ANDY VEROL - L'interview
Le sacerdoce d'ANDY VEROL
Ça, c’est vraiment toi ?
Ça n’est pas moi spécialement. C’est un peu tout le monde et particulièrement ceux qui ont eu l’esprit de rébellion. Au fur et à mesure des années, ils ont dû subir le temps, les désillusions, une grosse perte en hormones mais aussi des contraintes physiques qui ne leur offrent plus la possibilité de riposter à la violence sonique de plus jeunes qu’eux. Me concernant, je suis beaucoup plus massif maintenant qu’il y a 20 ans et je n’ai pas d’appréhension particulière vis-à-vis des gens que je croise, que je côtoie ou avec qui je dois bosser. La rage se transforme. Elle est structurée autrement. Certains appellent ça de la sagesse. Moi j’appelle ça l’action, la ténacité plutôt que l’agitation. Le corps, qu’on le veuille ou non, est un tas de viande et d’os qui est plus ou moins performant. Certains l’entretiennent, d’autres non. Certains le préservent, d’autres le détruisent. Le terme de « ruine potentielle », c’est ce que nous engrangeons au fil des années et qui déclenchera des maladies, des défaillances et nous fera passer du stade d’affreux arrogants sur pattes à de pauvres laissés-pour-compte. En réalité, je travaille sur un cycle, depuis trois-quatre ans, qui s’appelle Avant Extinction. Depuis toujours, j’ai eu la certitude de cet instant angoissant avant notre disparition. Ceux qui ont vu des proches disparaître savent de quoi je parle. Les autres, ils y seront confrontés tôt ou tard. Quand tu es jeune, tu n’as pas vraiment une conscience presque charnelle de ta mortalité. Tu joues d’ailleurs avec la vie parce que tu es inconscient, idéaliste et persuadé d’être quasiment immortel… Disons immortel mais en CDD.
Pas facile d'appréhender tout ça... Il semble que des personnes plus sensibles que d'autres - ou peut-être plus lucides que d'autres d'ailleurs - aient une conscience plus grande de cette - toujours trop - proche dégénérescence et de l’inéluctable fin.
A propos de sensibilité… Es-tu sensible ?
Comme tout le monde. Ecrire nécessite une hyper-sensibilité au monde. Il ne s’agit pas de sensiblerie mais bien de sensibilité.
Je parle bien de sensibilité…
En fait, je n’en sais rien. Je ne mets pas de l’affect dans tout. En Occident, disons que c’est devenu le truc. Les petits soucis, les problèmes sentimentaux qui ne sont autres que des histoires pathétiques écrites d’avance, les angoisses sous cellophane, un téléphone greffé à la main, l’eau courante, les aides sociales, des routes, etc. J’ai du mal. Je ne suis pas sensible à ce monde-là. J’y suis mais je ne ressens pas d’empathie pour nos sociétés de fin de course. Des pousseurs de caddies par millions. Voilà ce que je vois. Concernant la dégénérescence, justement, tous ces gens l’esquivent, « psychotent » pour un bourrelet, deux rides, une diarrhée. Il y a une peur bleue de la mort qui se mêle à des propositions médicales performantes laissant entendre qu’on a de fortes chances de vivre deux à trois plus longtemps qu’un de nos ancêtres du XIXème siècle. Et pourtant, ça n’enlève pas l’idée de départ. Ça la prolonge, presque à l’infini. Le moment qui vient mais ne vient pas. L’envie d’y être et de l’éloigner en même temps. En réalité, nous sommes tellement sensibles à l’insipide de vies ultra-sécurisées, que notre seule utopie est devenue : l’allongement de l’espérance de vie. Ça nous rend trouillards, paranos, plutôt insensibles aux véritables souffrances. On a tout rangé dans les écrans. Voilà. En réalité, pour en revenir à la question, nous sommes frappés de sensiblerie plus que de sensibilité, flingués par l’amour crétin et ignorant du monde. Aujourd’hui, avoir des gosses, c’est un choix d’amour, pas une nécessité. Ça n’a jamais été comme ça durant les siècles derniers… Et pourtant, le mot « amour » est balancé à tout-va, dans les écrans, dans les relations, mais à y regarder de près, on laisse crever les malades dans leur propre merde, dans le jus de leurs corps perclus de souffrance. En fait, on ne veut pas regarder ça en face. On jette les déficients dans des hôpitaux forteresses, dans des maisons de retraite, dans des asiles, des camps, … Nous sommes préparés à l’illusion d’une forme d’éternité sur Terre. Me concernant, je prépare la fin parce que je n’ai pas eu le choix du début.
Le souffle du vent dans les arbres, l'eau qui court le long d'une rivière, le silence...
Es-tu « sensible » à cette beauté-là ?
Pas vraiment. Je vis dans une mégapole. Je suis donc plutôt sensible aux hurlements des ivrognes dans la rue, aux sirènes de police, ... Je dis ça parce que c'est assez rare et que lorsque ça arrive, ça te tient l'attention au maximum. J'imagine que pour les non-urbains, ces manifestations de la nature ont une connotation positive en eux. Mais on réagit à l'environnement dans lequel on vit. Je me sens vivre dans l'enfer anticipé par Blade Runner. C'est ça qui me faisait rêver étant gosse: des villes gigantesques, des mégapoles polluées grouillant d'une foule multiculturelle, sinon sous-culturelle. On y est. C'est comme si nous baignions enfin dans le pire du pire. Et ce pire-là, à y regarder de plus près, n'est pas pire que de croupir dans un village boueux à l'époque médiéval. Mais pour revenir à ta question, oui, je suis sensible à une chose, mais c'est l'inverse de ce que tu me proposes: le désert. La désertification. Le vent chaud, sec, ravageur. Le lit d'une rivière asséchée. Tout ce qui est effrayant est beau et procure des émotions incroyables.
Pourquoi « Hirsute », le blog, n’existe plus ?
C’est une vieille histoire. Ce blog date d’avant les réseaux sociaux, de 2004 à 2006. En fait j’écrivais des textes dans mon coin. Ça générait entre 10 et 30 visites par mois. J’y mettais simplement mes écrits sans me préoccuper du reste. Un jour j’en parle à des potes aux Eurockéennes (j'étais complètement bourré). On se marre, ils disent qu’ils vont y jeter un œil et c’est alors qu’ils ont commencé à réagir, à écrire, à vanner. C’est vite monté dans le ton et on est vite devenus hardcore. Les visites sont passées de 10/30 à 1000 puis 2000 puis 5000 puis 10 000 par mois, etc. On foutait le bordel, on se défoulait, on exploitait internet au maximum puisqu’à ce moment-là (ça fait plus de sept ans), il y avait des marges de manœuvre énormes pour s’exprimer… Jusqu’à ce que nos propos hardcore, nos échanges musclés et littérairement neufs (qualitatif moins...) ne soient dénoncés massivement et que la plateforme qui nous accueillait alors nous jette. A l’instar de la télé publique grecque, paf, en une seconde, quelques 2-3000 billets ont été écrasés. Il y avait de bonnes choses là-dedans mais c’est ainsi. Dans le même esprit, mon Myspace de l’époque, avec plus de 11 000 connectés, a été aussi supprimé ainsi que 21 comptes Facebook. Pas facile tous les jours d’être dans la liberté de ton sur les réseaux !
Quel intérêt trouves-tu à l’édition numérique ?
Pas un intérêt mais un support supplémentaire. En premier lieu, l’édition numérique permet de dégainer plus rapidement. Lorsqu’on écrit à mon rythme, il y a des tas de textes en attente. Pour des formats courts que j’appelle « Micro-romans » (on appelle ça Nouvelle, communément), c’est le support le plus adéquat avec les revues papier. Certains sont réticents à ça parce qu’ils ont un attachement au livre-objet. Mais ça, c’est le problème du lecteur, pas le mien. Je lis des tas de bonnes et mauvaises choses sur écran. Depuis des mois, je lis aussi des nouvelles et romans sur une liseuse et pour autant, je continue à lire aussi des livres au format papier. Le débat est vain sur ce thème. Etre contre l’édition numérique, c’est la même chose que le monde du théâtre qui crachait sur le cinéma lorsque celui-ci est apparu. Les deux sont complémentaires, différents. Il n’y a pas de concurrence sauf pour les gros éditeurs « industriels » qui voient bien que leurs marges vont en prendre un coup. Il s’est passé la même chose pour la musique dans les années 2000. J’ajoute qu’en qualité d’écrivain, apprécié ou non, j’ai la nécessité de diversifier mon économie personnelle. Ce que les gens ne savent pas, c’est que l’auteur est le fond des chiottes pour beaucoup d’éditeurs (pas tous) mais surtout pour les diffuseurs et distributeurs. Ces derniers se prennent un bon pactole sur les ventes de livres papier. Me concernant, un micro-roman édité en numérique, c’est l’assurance d’une rémunération digne sans pour autant faire fortune. Egalement, nous préparons des projets qui pourront satisfaire quelques lecteurs extrémistes du papier. Je ne peux pas en parler maintenant parce que c’est en cours d’élaboration et de réflexion. Dans l’immédiat et pour plus tard, le numérique, c’est être édité dans de bonnes conditions avec une bonne diffusion en réseau. Pour l’instant, ça ne représente que quelques pourcents du marché du livre, mais l’année 2013 va voir changer les modes de lecture. Ça n’est pas du business. C’est une diversification logique des supports. Je viens du monde du fanzine dans les années 90 qui s’est mué en univers du blog dans les années 2000. Aujourd’hui, si l’on veut être diffusé et gagner un peu d’argent pour écrire plus encore, il est bon s’accaparer des supports qui flinguent les intermédiaires. Prônons pour le principe du producteur en direct avec le consommateur ! J’aurais pu invoquer les apports écologiques, mais c’est du pipeau. Enfin, j’écris en ligne depuis l’arrivée d’internet en France, l’édition numérique est donc le prolongement logique de ma pratique de diffusion.
Tu as un parcours assez vaste en tant qu’écrivain, animateur radio, rédacteur pour divers webzines et magazines, biographe aussi - puisque tu as réalisé la bio de Cantat (Noir désir) et celle de Manu Chao, à la demande de Patrick Eudeline ( Rock n’ Folk).
Qu’aimerais-tu encore faire en termes de création et réalisation ?
Tout ça s’est fait sur 27 ans. Il n’y a rien d’extraordinaire à ce parcours. En terme de création, oui, des livres des livres, et des livres. Pour le reste, je ne sais pas chanter, je ne suis pas réalisateur, je ne suis pas musicien… En fait, les projets viennent au hasard des rencontres et des circonstances.
A propos de ton travail sur le cycle Avant extinction. Tu en livres pas mal de bribes sur ton blog. Ça devrait donner quoi au final ?
Seconde chance introduit ce cycle. Ensuite il y a quatre romans en cours d’écriture ou achevés et un livre, peut-être plusieurs, avec la photographe Yentel Sanstitre. Je laisse le soin aux lecteurs de découvrir tous ces ouvrages. Grosso modo : Avant extinction est un chaos gigantesque qui tente de se mettre en ordre…
Ton enfance, c’était quoi ?
Des shorts, des goûters, des copains, des croûtes aux genoux, des stylos Bic transformés en avions de chasse en cours, etc. L’enfance est un autre moi, un moi qui n’est plus moi, une abstraction, des traces profondes dans le psychisme. Je n’entrerai pas dans les détails.
Que lis-tu ?
Je lis tout un tas d’auteurs. En ce moment, je lis presque uniquement les livres édités par les Editions 13è note. Sinon je lis des BD d’auteurs, souvent sombres, hardcore. C’est assez varié. Ça va de Steinbeck, en passant pas Ellroy, Ellis, Costes, Amis, Ossang, Kerouac… Franchement c’est large. Je lis des personnes qui ont du style, un style, un univers et qui ne reculent devant rien, qui n’ont pas peur de rentrer dans le lard du lecteur.
As-tu une hygiène de vie particulière ?
Je n’ai pas d’hygiène de vie. On n’échappe pas à son sort. Je ne fume plus, ne bois quasiment plus parce que ces pratiques me fatiguent. Nous vivons dans un univers aseptisé complètement agencé autour de concepts-prisons que sont les régimes, les 5 fruits et légumes par jour, les « pas manger gras pas sucré », etc. La bouffe provoque des cancers, l’air provoque des cancers, les colorants dans le PQ provoquent des cancers, les pots d’échappement, le soleil, les portables, les micro-ondes, etc. Ma seule hygiène de vie, c’est d’écrire et de virer de ma vie chaque personne qui m’emmerdent.
Tu as commencé à écrire très tôt, dès l’adolescence. A quoi ressemblaient tes textes alors ? Etaient-ils déjà sombres, à vif ?
J’ai commencé à écrire à l’âge de 13 ans suite à un flash. Je ne lisais pas auparavant, ou quasiment pas. Je n’étais pas d’une famille qui s’intéressait particulièrement à la littérature. Donc voilà, j’ai écrit, et c’était très très mauvais. Je n’ai commencé à lire que dans la foulée. Je me suis fait ma culture littéraire comme ça. Un écrivain qui ne lit pas, ça n’est pas un écrivain, c’est un imposteur. J’ai commencé avec de la science-fiction. Le truc classique avec des vaisseaux, des planètes lointaines. L’astronomie me passionnait et elle me passionne toujours. Ensuite j’ai écrit des encyclopédies –oui oui- en deux tomes. Puis la poésie, les nouvelles, du théâtre, des romans. La littérature noire est venue petit à petit. Mes lectures s’orientaient vers les polars, les romans noirs américains. Le parcours de base d’un petit con ! Mais j’aimais aussi les classiques. C’est à 18-19 ans que j’ai compris qu’il me faudrait au moins 20 à 30 ans pour écrire des trucs potables. Quant à l’écriture sombre ou à vif : je ne crois pas faire ça. J’écris des livres qui sont ancrés dans la chair, dans le psychisme, dans l’humain. Je ne conçois pas la lecture comme un loisir ou une distraction. Pour moi, c’est un univers, un mode de développement intellectuel central. J’écris donc un peu comme je lis.
Tu penses quoi de la vie, de l’humain ?
Je reprendrais un tweet envoyé récemment pour répondre à cette question : Rater sa vie, moi j'appelle ça, la réussir, hors des contingences débiles de notre époque productiviste. Concernant le suicide, je considère que c'est le meilleur moyen de rater sa mort. Quant à l’Humain, il ne lui reste pas longtemps à exister sous sa forme actuelle, alors qu’il en profite pour continuer à s’hypertrophier et à tout niquer comme il sait si bien le faire.
Quel âge as-tu, Andy Vérol ?
40 piges.
Quelques mots sur Planning, ton dernier texte édité ?
Planning est ce qu'on appelle un O.L.N.I., il ne peut être vraiment classé. C'est une énumération sonique de "choses" à faire, une sorte de traduction de nos quotidiens qui frisent l'hystérie tellement il est devenu compliqué de gérer chaque pan de sa vie. Nous gérons nos vies comme des entreprises, et nous croulons sous la paperasse. Comme je le dis parfois, nous vivons dans une société économiquement ultra-libérale mais quotidiennement, la majorité occidentale "d'en-bas" vit dans un monde à gestion soviétique: ultra-administrative, hygiéniste, ... La liberté appartient aux élites économiques, depuis toujours. Quand tu voyages, à ton échelle, tu es tellement écrasé par les démarches et préparations à faire que c'est à en dégueuler. Une élite économique a ses sbires, des petites mains serviles qui fluidifient la vie. Ainsi les élus, représentants officiels des électeurs, justifient leurs indemnités mirobolantes en créant sans fin des lois merdiques qui s'ajoutent aux dizaines de milliers d'autres lois. En fait, avec Planning, je dis le problème n'est pas l'impôt, mais sa dépense dans des dispositifs qui nous pourrissent l'existence plutôt que de nous la rendre meilleure.
Sur ton blog Dernière usine avant extinction, tu mets en ligne quotidiennement des textes. Tu écris quasiment non-stop ?
J’écris 7/7, 365 jours par an depuis 27 ans, entre une et sept heures chaque jour. Ecrire n’est pas prestigieux, n’est même pas un plaisir la plupart du temps. C’est un sacerdoce.